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L'industrie du troisième millénaire

  in Le Monde Argent - 2 octobre 2005

« Comment un jeune artiste est-il soudain à la mode ? Grâce au buzz, le marketing du bouche-à-oreille, qui repose sur trois ingrédients... »

 

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L'art contemporain a la cote mais reste abordable

"This is so contemporary, contemporary, contemporary !" Cette exclamation sarcastique figure dans une performance de l'artiste allemand Tino Sehgal, interprétée par des gardiens de musée à la Biennale de Venise, cet été. Une formule d'autant plus d'actualité que les collectionneurs ne jurent aujourd'hui que par l'art contemporain.

Depuis dix ans, ce segment a connu de fortes progressions, sans toutefois avoir encore rattrapé les niveaux de 1990. D'après la base de données Artprice, les prix étaient en juillet 2005 inférieurs de 24 % à ceux de 1990. Reste que l'art contemporain est si prisé que les musées traditionnels français, comme le Louvre ou Orsay, y ont recours pour augmenter leur fréquentation.

Pourtant, avec 2,7 % de part de marché dans ce domaine au niveau mondial au cours du premier semestre, la France semble fâchée avec l'art actuel. La Foire internationale d'art contemporain (FIAC), organisée du jeudi 6 au lundi 10 octobre à la porte de Versailles à Paris, ne joue qu'un rôle encore marginal dans la noria des événements internationaux. Les transactions s'y échelonnent souvent entre 5 000 et 50 000 euros, loin des prix observés à Bâle en juin. "En France, l'art contemporain est déjà passé au stade de représentation sociale, mais pas à celui de la consommation comme aux Etats-Unis", observe ainsi la galeriste Nathalie Obadia.

A Paris, Londres ou New York, le marché se caractérise par une propension au jeunisme, confortée par la création, en 2004, du hall 5.1 sur la FIAC, dédié aux jeunes galeries. En achetant de jeunes pousses, les collectionneurs espèrent dénicher tôt les futures stars de demain.

L'Américain qui avait acheté pour 2 000 dollars (1 665 euros) une aquarelle de l'Allemand Kaj Althoff, né en 1966, voilà cinq ans, a fait une jolie plus-value. Remise en vente le 23 septembre chez Christie's, l'oeuvre a été vendue 48 000 dollars !

D'après Artprice, le prix moyen des oeuvres d'artistes âgés entre 25 et 45 ans dans les ventes de New York est passé de 32 514 dollars en 1990, à 80 710 dollars en 2004 ! "Aujourd'hui, le temps qu'on se pose la question de l'achat, les prix d'un jeune artiste ont déjà doublé", remarque Martin Guesnet, spécialiste de la maison de ventes Artcurial. Ce constat ne vaut toutefois pas en France, où les tarifs des jeunes artistes restent stables, sinon modérés.

Comment un jeune artiste est-il soudain à la mode ? Grâce au buzz, le marketing du bouche-à-oreille, qui repose sur trois ingrédients : une galerie réputée pour son flair, un collectionneur prescripteur dont les achats sont observés de très près par ses pairs, et une exposition muséale.

Avec cette méthode, la galerie new-yorkaise Maccarone a vendu de nombreuses oeuvres de l'Américain Nate Lowman (4 000 à 10 000 euros) à Bâle en juin. Depuis 2003, les puissants collectionneurs de Miami, Don et Mera Rubell, clamaient leur intérêt pour cet homme de 27 ans. L'artiste était de surcroît à l'affiche de l'exposition "Greater New York", supposée présenter la crème des artistes émergents au centre d'art new-yorkais PS1 jusqu'au 22 septembre.

Cette analyse vaut aussi pour l'Américain Devendra Banhart, âgé de 24 ans. Connu comme musicien psychédélique, il produit des dessins obsessionnels, proches dans l'esprit de l'art brut. Début 2004, un dessin valait 1 100 dollars lors de l'exposition "Yesteryear" à New York. Huit mois plus tard, il fallait compter 4 000 dollars pour une feuille à la galerie Roth Horowitz. Son relais parisien, Cardenas Bellanger, a préféré s'en tenir sur la Fiac au prix raisonnable de 1 400 euros.

Banhart a aussi séduit les commissaires d'exposition réputés, comme Hans Ulrich Obrist. Celui-ci l'intègre à partir du 8 octobre dans l'exposition "Uncertain States of America" au Musée Astrup Fearnley d'Oslo. Un événement sur la jeune scène américaine que les collectionneurs investisseurs ne manqueront pas.

Certains amateurs se sont déjà pressés aux portes de l'exposition "J'en rêve" qui se tient jusqu'au 30 octobre à Paris, à la Fondation Cartier. Celle-ci compte près de 60 artistes de toutes nationalités, dont la moyenne d'âge est de 25 ans. D'après le directeur de la Fondation, Hervé Chandez, des artistes de l'exposition, comme la Française Liliane Phung et la Japonaise Erina Matsui, ont déjà été contactés par des collectionneurs.

La Fondation Cartier a elle-même consacré 40 000 euros pour acheter 30 % des artistes présentés. Une poignée de ces jeunes dispose déjà de galeries. Parmi eux, la Française Camille Henrot (26 ans). Dans un esprit proche du film d'animation, elle gratte les pellicules cinématographiques ou les obscurcit avec du feutre, pour superposer une autre histoire à celle du film. La galerie Dominique Fiat présente, sur la FIAC, ses vidéos Deep Inside et Dying Living Woman pour 4 850 euros.

FORMATS COLOSSAUX

Autre bourgeon de l'exposition, la Britannique Zoë Mendelson (29 ans) traduit ses fantasmes érotiques avec une imagerie tirée des livres pour enfants. La galerie Schleicher + Lange affiche à la FIAC des dessins et une peinture dans une gamme allant de 700 à 5 000 euros.

La quête d'artistes jeunes se double d'un goût ambiant pour les images frontales, évidentes, ce que les Anglo-Saxons nomment le "wall power". D'où une uniformisation dans les propositions. "Certaines galeries ont la tentation de donner à voir ce que les gens recherchent", estime le courtier Philippe Ségalot.

Même si le marché, du moins américain, semble formaté, il est plus ouvert à une large palette de médiums. La peinture, dont la mort avait été programmée, n'est pas enterrée. On en voit de multiples déclinaisons sur la FIAC, entre l'abstraction d'un Bernard Frize (22 000 euros) chez Emmanuel Perrotin et les monochromes d'Angela de la Cruz chez Nicolas Krupp (4 600 et 6 800 euros).

Dans la foulée, le dessin s'affiche, avec la veine drolatique de Mark Licari (1 000 à 3 000 euros) chez Valérie Cueto, le graphisme très mode de Petra Mrzyk & Jean-François Moriceau (450-550 euros) chez Air de Paris, ou le trait impulsif d'Anne-Marie Schneider chez Xavier Hufkens (2 000 euros).

Les amateurs sont moins regardants sur le format. Les sculptures et installations les plus colossales prennent leurs quartiers chez les collectionneurs, du moins étrangers. La galerie zurichoise Nicola Von Senger propose ainsi à la FIAC un spectaculaire Sauna du collectif Gelatin pour 35 000 euros. Gare toutefois au gigantisme à tous crins !

Roxana Azimi

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